Le poteau aux petits mots
Aux côtés des élèves, sur la table du Centre de documentation et d’information, il y a Julia Thatje, documentaliste en poste depuis trois ans qui les suit une heure par semaine et Gaëlle Le Saux, auxiliaire de vie scolaire. L’équipe du court-métrage 2019 du collège du Château ainsi réunie, l’histoire de la vidéo peut démarrer. « On a demandé à Madame Thtaje de faire une vidéo », débute Eva. Une demande qui leur tient à cœur après avoir lu « les petits mots du poteau », comme précise Julian, cet endroit dans le CDI où des élèves ont noté des petits mots, quelques mois plus tôt, sur le harcèlement et pourquoi ils l’avaient été, comme « je suis noir », « je suis trop gros », « je suis trop petit »… Une demande de réaliser un court-métrage qui se confirme après avoir écouté « l’histoire lue » par la documentaliste de « Six contre un », de l’écrivain Cécile Alix. Le sujet a résonné, le thème chamboulé… « On voulait faire quelque chose pour que le harcèlement s’arrête », explique Kenza avant d’ajouter : « Parce que nous aussi ».
« Taper dessus du CP au CM2 »
Le « nous aussi » est nombreux. À la question de combien d’entre-eux ont été harcelés, plus de la moitié des élèves lève le doigt. Pour l’essentiel « au primaire », parfois un peu « au collège ». Chacun raconte son histoire, en un mot ou deux, rarement beaucoup plus. « Des insultes » pour l’un, « des insultes et taper dessus du CP au CM2 » pour un autre, « du racket et casser mes lunettes » pour un autre élève… Les témoignages s’enchaînent et l’un d’entre eux craque. « Je n’avais jamais dit ». Le courage est au rendez-vous de la grande table. Les paroles ont été entendues, les professionnels ont noté, capté qu’il y avait des « témoignages forts ». Et une première fois.
La diffusion du court-métrage encore timide
Avec la promesse des élèves d’« être sages et attentifs », la documentaliste se lance dans le défi. « En cinq heures, sur quatre-cinq semaines, nous l’avons réalisé et je l’ai monté ». Le scénario, les rôles pour chacun. « Tout le monde se battait pour être la victime. Mais moi j’ai revendiqué ma tache de naissance, c’était important pour moi ce rôle », précise Kenza. Ses camarades valident à l’unanimité sa candidature. Le court-métrage est tourné dans l’enceinte du collège, avec des difficultés comme « d’apprendre par cœur les textes ». L’histoire parle d’« une petite fille harcelée, qui change d’établissement avec la promesse des adultes que ça ne se reproduira plus. Mais ça recommence… » Le final est là, sur les ordinateurs du CDI, envoyé à distance au jury… mais « il n’est pas montré à tous ». Sa diffusion est encore compliquée pour les élèves. « Par peur d’avoir honte ». Mais pas à pas, la documentaliste argumente : « Vous êtes bien conscients que si vous gagnez, cette vidéo sera diffusée ». Le oui est sonore et collectif.
À l’autre bout de la table, le principal Marcel Sorin, silencieux durant tous les échanges, approuve. « Les élèves ont tous des histoires personnelles différentes. C’est important que la prévention se fasse dans la durée, toute l’année ». Discussion après discussion.
© Le Télégramme article paru le 08/04/2019